Permis de construire frauduleux et mécanismes de régularisation : l’impossible conciliation.

Permis de construire frauduleux et mécanismes de régularisation : l’impossible conciliation.

Auteur : Guillaume BOILLOT
Publié le : 20/10/2021 20 octobre oct. 10 2021

Cour Administrative d'Appel de LYON 12 octobre 2021, n° 20LY03409

Permis de construire frauduleux et mécanismes de régularisation : l’impossible conciliation.

« fraus omnia corrumpit »[1]


Le mouvement observé depuis l’ordonnance du 18 juillet 2013 en faveur de la régularisation en cours d’instance des autorisations d’urbanisme viciées n’avait guère connu de limites tant il est vrai que législateur souhaitait « réduire l'incertitude juridique pesant sur les projets de construction et prévenir les recours abusifs susceptibles de décourager les investissements »[2].

Il n’est d’ailleurs que de se référer à l’avis du Conseil d’Etat rendu le 2 octobre 2020[3] pour en mesurer la portée.

Voici pourtant un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Lyon le 12 octobre 2021 qui a le mérite de rappeler que certains vices, compte tenu de leur nature, ne sont pas régularisables, aboutissant inéluctablement à l’annulation de l’autorisation d’urbanisme querellée.

Tel est le cas de la fraude.

Dans cette affaire, « la demande de permis de construire en litige » était présentée « comme tendant à la réhabilitation d’un immeuble de quinze logements collectifs ».

Or il ressortait toutefois des pièces du dossier, « et notamment des documents photographiques produits par les requérants que le bâtiment en litige [était] en état de délabrement important, que son premier étage ne comportait aucun cloisonnement et qu’il n’abritait ainsi aucun logement depuis plusieurs décennies, à supposer que ce bâtiment, initialement à usage agricole ainsi qu’il ressort de la notice du permis, ait jamais eu une destination ou un usage de logements ».

Le pétitionnaire avait abusé la religion des services instructeurs en produisant un « extrait de matrice cadastrale » faisant état de ce que le bâtiment comporterait quinze lots.

Pour la Cour toutefois, « ce document, qui ne porte pas sur le nombre de logements » ne saurait permettre « d’établir que le bâtiment comportait effectivement quinze logements à la date de la demande » de sorte qu’il paraissait acquis de considérer que « le projet litigieux tend en réalité à aménager quatorze logements dans un bâtiment qui doit être totalement réhabilité et étendu ».

La fraude est alors isolée par la juridiction d’appel au terme d’une motivation particulièrement circonstanciée : « Ainsi les indications du dossier de demande sur l’objet du permis reposent sur des déclarations inexactes destinées à tromper l’administration, notamment en ce qu’elles précisent que le projet tend à rendre l’immeuble plus conforme aux dispositions du PLU relatives au stationnement. Par suite, le permis de construire, qui autorise un projet ne comportant que seize places de stationnement, est entaché de fraude et méconnait les dispositions de l’article UD 12 du règlement du PLU. ».

La circonstance que la Cour Administrative d'Appel de Lyon ait pu retenir la fraude dans cette affaire nous parait déjà exemplaire tant cette notion[4] reste strictement entendue par le juge administratif.

Ce dernier ne la retient que rarement en effet, et deux considérations expliquent sans doute cela :

 1) La fraude ne se présume pas et doit être prouvée.

2) Elle réside dans le caractère intentionnel des erreurs commises par le pétitionnaire.  Selon le Conseil d’État, « la fraude suppose, pour pouvoir être caractérisée, que le pétitionnaire ait procédé à des manœuvres de nature à tromper l’administration sur la réalité du projet » (Conseil d'Etat, 21 novembre 2012, n° 350684). En pratique :

  •  Les éléments versés au dossier doivent établir l’existence d’une information ayant induit en erreur l’administration. Ce caractère trompeur peut résider en une action ou en une omission volontaire du pétitionnaire. A titre d’exemple, le pétitionnaire peut avoir omis de transmettre des informations essentielles à l’instruction de sa demande (Conseil d'Etat, 9 juin 2004 : req. n° 248042) ;

  •  Il doit être établi que le pétitionnaire ne pouvait ignorer ce caractère trompeur (Conseil d'Etat, 9 octobre 2017 : req. n° 398853).


Mais là n’est pas le principal mérite de l’arrêt rendu le 12 octobre 2021.  Il reste à notre sens celui de formuler, pour la première fois, que l’exception de fraude ne saurait « être regardée comme un vice susceptible de faire l'objet d'une mesure de régularisation au visa de l'article L.600-5-1 du Code de l'urbanisme, ou d'une annulation partielle en application de l'article L.600-5 du même code."

Cette solution n’allait pas de soi. Dans cette affaire, Monsieur le Rapporteur Public avait certes retenu la fraude mais n’en tirait pas toutes les conséquences.

Il sollicita le bénéfice des dispositions de l'article L.600-5-1 du Code de l'urbanisme en invitant[5] la Cour à surseoir à statuer « afin de permettre l’intervention d’une mesure de régularisation sur les vices tirés de la méconnaissance des articles UD 12 du règlement du PLU ».

Cette position interrogeait.

Certes, par l’effet des différentes réformes (et de la jurisprudence) intervenues, la doctrine était unanime pour considérer le champ de la régularisation considérablement élargie. « Tout ou presque devient régularisable »[6] au nom de l’exigence consacrée des principes de stabilité et/ou de sécurité juridique.

Mais l’exception de fraude à la loi, qui remplit encore et toujours une fonction de protection du principe de légalité, pouvait-elle « faillir » devant de tels principes ?

La formation de jugement de la Cour Administrative d'Appel de Lyon ne l’a pas cru, s’alignant sur la position de Monsieur Le Rapporteur Public Olivier FUCHS sous l’Avis BARRIEU du 2 octobre 2020, lequel rappelait que « la limite selon laquelle le vice doit être régularisable tient toujours ».

Et à cet égard, Olivier FUCHS opinait pour considérer que « la fraude est un autre exemple de vice qui nous parait non régularisable »[7].

Pour la Cour donc, « le vice affectant le permis de construire, relevé au point 7 et 10 du présent arrêt, tiré de l’insuffisance du nombre de places de stationnement  au regard de la fraude commise par la société pétitionnaire sur l’objet de la demande, ne peut être regardé, compte tenu de cette fraude, comme un vice susceptible de faire l’objet d’une mesure de régularisation au visa de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, ou d’une annulation partielle en application de l’article L. 600-5 du même Code ».

Qu’il soit au final permis de l’écrire : l’adage « fraus omnia corrumpit » conserve toutes ses vertus.

En situation de fraude, aucune place ne pourra être faite à la régularisation ou la survie même partielle de l’autorisation querellée.

Une solution que nombre de pétitionnaires devront méditer sous peine de cruelles désillusions…
 

Guillaume BOILLOT
Docteur en Droit de l’Urbanisme
Avocat Associé



 

 


[1] « La fraude corrompt tout ».

[2]  Décision n° 2017-672 QPC du 10 novembre 2017

[3] Pour la première fois, la plus haute juridiction administrative va déconnecter (ou encore autonomiser) la mesure de régularisation de son corollaire habituel (le permis de construire modificatif)  tout en maintenant une limite pour la mesure de régularisation (le bouleversement du projet aboutissant à en changer la nature)  : « Un vice entachant le bien-fondé de l'autorisation d'urbanisme est susceptible d'être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même ».

[4]  Dont les conséquences ne sont pas neutres. Ainsi par exemple le régime juridique du retrait des autorisations entachés de fraude est lui-même dérogatoire puisqu’un tel acte demeure retirable sans conditions de délai. Rien qui ne soit étonnant à la réflexion puisque l’exception de fraude à la loi « remplit une fonction de protection du principe de légalité en permettant, et même en imposant, à l’administration de faire échec aux tentatives abusives ou frauduleuses d’obtenir une décision favorable » R. CHAPUS Droit Administratif Général, T. 1, 15ème Edit., n°1205, p. 1016.

[5] Les parties furent logiquement informées 10 jours avant l’audience de ce que la Cour était susceptible de sursoir à statuer dans cette affaire et appelées à présenter leurs éventuelles observations conformément aux dispositions de l’article L. 600-5-1 dans sa rédaction issue de la loi ELAN : en effet et dans tous les cas, les parties doivent dorénavant pouvoir émettre leurs observations sur la mesure de régularisation décidée et la mesure soumise au juge par le bénéficiaire.
 

[6] R. NOGUELLOU « La réforme du contentieux de l’urbanisme » AJDA 2019 p.107. Sur ce sujet, W GREMAUD, La régularisation en droit administratif, thèse Université Panthéon -Assas 2019

[7]  O. FUCHS conclusions sous CE Avis 2 octobre 2020 « Barrieu », req. n° 438318, BJDU, janv.-Févr., 2021, n°1, p.54 ;

 

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