Intérêt à agir à l’encontre d’un arrêté de transfert d’un permis de construire devenu définitif ? se méfier des apparences

Intérêt à agir à l’encontre d’un arrêté de transfert d’un permis de construire devenu définitif ? se méfier des apparences

Auteur : Guillaume BOILLOT
Publié le : 02/02/2021 02 février févr. 02 2021

Intérêt à agir à l’encontre d’un arrêté de transfert d’un permis de construire devenu définitif ? se méfier des apparences
Un arrêt de la 2eme Chambre de la Cour Administrative d’Appel de NANTES du 17 novembre 2020 sème le trouble quant aux modalités d’interprétation de la notion d’intérêt à agir au sens des dispositions de l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme à l’égard d’arrêtés de transfert de PC devenus définitifs (Cour Administrative d'Appel de NANTES, 2ème chambre, 17/11/2020, 20NT00346, Inédit au recueil Lebon).

« 1. Par deux arrêtés du 6 novembre 2009, le maire de Saint-B...-des-Baisants, commune intégrée à la commune nouvelle de Saint-B...-d'Elle depuis le 1er janvier 2016, a délivré à M. L... deux permis de construire pour la construction de deux maisons d'habitation sur une parcelle cadastrée section B n° 942. Par deux arrêtés du 29 janvier 2019, le maire de Saint-B...-d'Elle a transféré ces permis de construire à M. H... B.... M. et Mme E... F... et M. I... K... relèvent appel du jugement du 4 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces deux derniers arrêtés. »

A lire en superficie cet arrêt, l’intérêt à agir à l’encontre d’un arrêté de transfert de permis de construire s’apprécierait à l’identique de ce qui prévaut pour le permis de construire y compris si celui-ci est définitif.

Pour la Cour en effet, la circonstance que les arrêtés en litige soient des arrêtés de transfert serait sans incidence :
« Selon ce rapport, la réalisation du projet engendrera pour ces derniers des désagréments de vue, ce qui pourrait avoir pour effet de diminuer la valeur vénale de leur bien. Dans ces conditions, M. et Mme E... F..., qui se présentent comme voisins immédiats du projet, ont intérêt à demander l'annulation des arrêtés en litige. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la commune de Saint-B...-d'Elle ne peut être accueillie en tant qu'elle concerne ces derniers requérants.

Mais est-ce la bonne lecture de l’arrêt rendu par la Cour Administrative d'Appel de NANTES ?

Notre confrère P. E. DURAND sur son site JURISURBA du mois de novembre 2020, commentant cet arrêt écrit : « en revanche l'intérêt à agir du voisin immédiat à l'encontre d'un arrêté de transfert s'apprécierait comme pour le permis primitif, y compris si le requérant n'a pas attaqué ce dernier ».
Concédons -le, une telle lecture serait pour le moins surprenante.
  1. Elle s’éloignerait tout d’abord du principe de spécialité observé en matière de permis de construire modificatif ; nous le savons en effet, « Lorsque le requérant, sans avoir contesté le permis initial, forme un recours contre un permis de construire modificatif, son intérêt pour agir doit être apprécié au regard de la [seule] portée des modifications apportées par le permis modificatif au projet de construction initialement autorisé." (Conseil d'État, 1ère - 6ème chambres réunies, 17/03/2017, n°396362 ; plus récemment, Conseil d'État, 1ère chambre, 04/10/2019, n°419820, Inédit au recueil Lebon)
 
  1. Elle aboutirait ensuite à brouiller la qualification juridique de l’arrêté de de transfert, laquelle qualification n’est pas assimilable à celle du permis de construire.
En effet, l’arrêté de transfert, création purement prétorienne, reste un changement du nom du bénéficiaire du permis de construire, encore une simple rectification du nom du bénéficiaire de l’autorisation initiale. Il s’analyse comme un acte de droit personnel à la différence du permis de construire qui demeure encore un acte de droit réel délivré en considération du terrain et non du pétitionnaire (Conseil d'Etat, 29 mai 1970, n°76383).

Or c’est bien en considération du seul projet (et de son impact) délivré que l’intérêt à agir du requérant visé à l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme est traditionnellement apprécié.

On avouerait donc ne pas comprendre comment le voisin immédiat, qui décide de ne pas contester un permis de construire dans les délais, pourrait, à bon droit, changer d’avis parce que l’occasion lui en serait donnée lors de la délivrance ultérieure d’un arrêté de transfert…

 Il y aurait là quelque chose qui, manifestement, ne s’expliquerait pas.

En réalité, cet arrêt est trompeur et ne saurait méprendre sur sa véritable portée.

Dans cette affaire qu’avait à connaitre la Cour Administrative d'Appel de NANTES, les deux permis de construire initialement délivrés, devenus définitifs, étaient en réalité périmés ; de sorte que le juge d’appel a pu considérer, n’étant pas tenu par la qualification qu’avait pu donner l’administration et/ou le pétitionnaire à ces deux arrêtés de transfert (Conseil d'Etat, 1er décembre 1993, Commune de Beaune, n°110339 BJDU 1994.23), être saisi de nouveaux arrêtés permis de construire et non pas de simples arrêtés de transfert :
« Les requérants soutiennent, toutefois, qu'à la date des décisions contestées, les travaux avaient été interrompus depuis plus d'un an soit, en l'espèce, à compter de septembre 2014, de sorte que le maire de Saint-B...-d'Elle ne pouvait procéder au transfert des permis de construire du 6 novembre 2009 qui étaient devenus caducs en application du deuxième alinéa de l'article R. 424-17 du code de l'urbanisme.
9. Il ressort des pièces du dossier, notamment des photographies produites par les requérants dont les dates de prise de vue ne sont pas sérieusement contestées et de celles contenues dans le procès-verbal de l'huissier du 6 septembre 2018, qui font foi jusqu'à preuve contraire, qu'à partir d'au moins juillet 2017 jusqu'au 6 septembre 2018, soit pendant une période de plus d'un an, le chantier n'a connu aucune évolution. Dans ces conditions, en l'absence de tout élément fourni par la commune ou le pétitionnaire tels que, par exemple, des photographies ou des factures de fournisseurs, de nature à établir que les permis n'étaient pas périmés au 29 janvier 2019, le maire de Saint-B...-d'Elle a méconnu les dispositions de l'article R. 424-17 du code de l'urbanisme en transférant ces permis de construire devenus caducs à M. B.... »
L’honneur est sauf ; les principes d’interprétation habituellement observés en matière d’intérêt à agir prévalent toujours.

Gageons qu’en l’hypothèse précisément où un requérant n’aurait pas jugé utile d’attaquer un permis de construire dans les délais requis, mais se déciderait toutefois à contester ultérieurement l’arrêté de transfert intervenu, le juge administratif lui dénierait qualité pour agir.

A suivre...
 
Guillaume BOILLOT

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